Lors de son débat avec Ségolène Royal dans "A vous de juger" sur France 2, Daniel Cohn-Bendit a pris pour modèle la taxe carbone en Suède. Les principes de cette contribution-énergie suédoise soucieuse de ménager la compétitivité industrielle feraient-ils l'unanimité chez Europe-Ecologie? Pas certain !
Dès les années 80, la Suède a mis en œuvre un système de taxes sur l'énergie pour diminuer la consommation de pétrole nationale. Ce pays scandinave a également institué une taxe carbone le 1er janvier 1991, six ans avant le Sommet de Kyoto et dix-huit ans avant le Sommet de Copenhague! Au début des années 2000, le système fiscal suédois incluait 7 taxes "écolos" ou non sur l'énergie, dont deux sur les combustibles fossiles et l'électricité consommés par les particuliers, une taxe carbone, et une TVA sur la consommation d'électricité.Une taxe carbone compatible avec la croissance économique
La taxe carbone suédoise porte sur la consommation de pétrole, charbon, gaz naturel, gaz de pétrole liquéfié et kérosène. Elle n'a pas impacté le développement économique, les émissions de CO2 ayant diminué de 9 % entre 1990 et 2007, alors que le PIB (produit intérieur brut) croissait de 48 %. En 2009, les écotaxes suédoises représentaient 2,8% du PIB. Un tel résultat a cependant été rendu possible par de larges concessions faites à l'industrie, au pays d'Electrolux, Volvo, Tetra Pak ou Ikea…
La taxe carbone à la suédoise ferait peut-être grincer les dents d'Europe-Ecologie
Une taxe carbone française sur le modèle suédois ferait-elle vraiment le bonheur des écologistes français comme semblait le penser Daniel Cohn-Bendit ? Pas évident.
Mise en œuvre de manière progressive, la taxe carbone made in Stockholm a en effet prévu deux taux de taxation, haut et faible, afin de ne pas nuire à la compétitivité économique. Ceux qui payent le plus sont les ménages et les services: 108 euros la tonne en 2009. Les secteurs pouvant être soumis à des "délocalisations-carbone", tels que cimenteries, aciéries, producteurs d'aluminium et papeteries, mais aussi l'agriculture, bénéficient du taux réduit. Cette taxe carbone réduite varie de 16 euros la tonne pour les entreprises soumises au marché des quotas européens (ETS) à 23 euros pour les autres.
Pour rappel, la contribution énergie française, abandonnée sur le bord de la route du Grenelle par Nicolas Sarkozy, devait se monter à 17 euros par tonne de CO2 produite. Elle devait être répercutée sur le prix des combustibles fossiles, mais pas sur l'électricité, sanctuarisée par l'énergie nucléaire "non polluante". Et 1400 sites industriels français soumis aux quotas de CO2 européens* devaient également en être dispensés.
Fort impact de la contribution énergie sur le comportement des ménages suédois
Lourdement imposés sur leur consommation d'énergie fossile, les particuliers suédois sont rapidement passés du chauffage au fioul au chauffage bois-biomasse. Celui-ci représentait 70 % des sources en milieu urbain en 2007, contre 24 % en 1990. Logique pour un pays disposant de 31 millions d'hectares de forêt pour 9,25 millions d'habitants (à comparer avec la France : 17 millions d'hectares boisés pour 64 millions d'habitants). L'un des effets les plus significatifs des taxes énergie et carbone a été le développement de réseaux de chaleur urbains recourant à la biomasse pour 50% de leur approvisionnement et à la cogénération.
L'automobile, quant à elle, fait l'objet d'une triple incitation au changement. Les carburants considérés comme ''renouvelables'' : éthanol, méthane, biocarburants, tourbe, déchets, sont en effet exonérés de taxe. De plus, un décret gouvernemental demande à toutes les stations de proposer au moins un carburant alternatif à côté de l'essence ou du diesel. L'éthanol représente 25% du marché.
Enfin, encouragés par une prime de 1000 euros à l'achat, les véhicules ''propres'' se multiplient. Au premier semestre 2008, 60 % des voitures neuves vendues fonctionnaient à l'éthanol, au gazole ou au gaz, ou étaient des hybrides.
Si elles roulent dans les rues de Stockholm, elles sont désormais soumises à un péage urbain (congestion charge) d'1 à 2 euros par jour, suivant l'heure d'entrée en ville.
Une influence limitée de la taxe carbone sur l'industrie en Suède
L'effet taxe a été plus limité sur un secteur industriel qui utilisait l'énergie fossile à hauteur de 30% seulement en 1991 et pour lequel l'impact de l'énergie dans les coûts était relativement bas. En fait, la Suède n'a pas seulement institué une taxe carbone en 1991. Elle a également opéré un glissement fiscal : les charges pesant sur le travail ont été allégées de 6 milliards d'euros, alors que la taxe carbone et la taxe sur l'énergie généraient un prélèvement de 1,9 milliards d'euros (2,5 milliards en 2008). Au final, la charge fiscale globale des entreprises suédoises a plutôt été allégée.
Les taxes spécifiques aux émissions de gaz sulfurés ou d'oxydes d'azote ont quant à elles entraîné une baisse sensible de ces émissions entre 1990 et 1995 : respectivement moins 30 et moins 60%.
Energie : le nécessaire couplage entre fiscalité et innovation technologique
D'après un rapport de Bengt Johansson pour l'Agence suédoise de protection de l'environnement publié en 2000, le faible niveau de taxation-énergie de l'industrie suédoise aurait ralenti l'innovation technologique sur les énergies propres ou renouvelables. Sauf pour l'exploitation de la biomasse.
A comparer avec le modèle du Danemark, pays où une taxe carbone a également été instituée en 1992. Son montant est actuellement de 20 euros la tonne, moins pour l'industrie. Dépendant à 95% de gaz et pétrole importés dans les années 70, ce pays a simultanément développé une industrie éolienne de pointe. Le leader en la matière est Vestas Wind Systems, qui emploie 20 700 salariés. Puissance des turbines livrées dans le monde entier en 2009 : 682 Mégawatts.
La Suède économise le carbone, mais pas l'énergie
Taxe carbone ou pas, la Suède reste un fort consommateur d'énergie. Soit 15.000 kWh par habitant et par an (en consommation finale)**, immédiatement après l'Islande (35 000), la Norvège (24 500) et le Canada (16 000). Largement utilisé, le chauffage électrique représentait 25% de cette consommation, fin 1999, dans un pays soumis à des hivers longs et froids.
La production d'énergie suédoise repose à 49,7% sur l'hydroélectrique et à 39,1% sur le nucléaire, la contribution de ce dernier étant proportionnellement en hausse**. Nucléaire, hydraulique et cogénération sont exemptés de taxe énergie et de taxe carbone.
L'empreinte-carbone par Suédois est modérée : 5,8 tonnes de CO2 par an contre 8,6 dans l'Union Européenne et 19,7 aux Etats-Unis. En comparaison, un citoyen français émet 6,7 tonnes par an (données Adème, 2007).
Taxe carbone : un élément d'une politique énergétique, parmi d'autres
A méditer, l'avis de Per Rosenqvist, expert climatique auprès du Ministère suédois de l'Environnement : "Il faut mettre en place une série de politiques, et non seulement une taxe. Les solutions sont différentes dans chaque pays. Et elles doivent être régulièrement réajustées, comme nous l'avons appris de nos erreurs. Mais cela marche."
Une taxe carbone n'est donc qu'un élément d'une politique d'innovation en matière de production et de consommation d'énergie. Elle caractérise néanmoins une forte volonté politique de changer ces pratiques.
* Rappelons au passage que les dits quotas sont gratuits jusqu'en 2012. Soulignons aussi que l'industrie représente 36% des émissions de CO2 français (ce CO2 n'étant lui-même qu'un des gaz à effet de serre). Le résidentiel, les transports et l'agriculture sont également "producteurs".
** Données de l'Université de Sherbrooke, Québec.
*** 62% de la production d'énergie danoise recourt encore au charbon.
Visuels : Abba, héros pop suédois, protégés contre le réchauffement climatique dès 1978 - Débat Cohn-Bendit / Ségolène Royal : " A vous de juger"', France 2, 25 mars 2010 - Tarif de la "congestion charge" à Stockholm - Centrale hydroélectrique d'Akkats (Vattenfall).
> A lire d'un clic :
The low carbon diet (Green Change)
Taxe carbone : l'exemple suédois (Actu Environnement)
Where carbon is taxed (Carbon tax Center).