vendredi 2 mai 2008

Etats-Unis : coup de pompe pour l'éthanol-grain ?

En décembre 2007, le Congrès américain réaffirmait sa volonté de voir la production nationale d'éthanol faire un bond significatif. En mai 2008, changement radical de ton, face à la montée des prix alimentaires et une opposition croissante aux subventions aux "agriculteurs millionnaires". "Durable", vous avez dit "durable" ?

Dès 1978, le Congrès votait une réduction d'impôts pour les producteurs d'éthanol. C'est en fait un thème récurrent des campagnes électorales américaines, dont les primaires commencent dans l'Iowa... 1er état producteur de ce carburant. En 2007, la Loi sur l'énergie ordonnait une multiplication par 5 de la proportion d'éthanol ou autre biocarburant devant être incorporés aux carburants automobiles.

En 2005, les Etats-Unis ont consommé 140 milliards de galons d'essence.
(530 milliards de litres).
La consommation américaine d'énergie devrait croître de 18% d'ici 2030.

Une donne énergétique nouvelle alimentée par les subventions

Les législateurs américains voient pourtant leur enthousiasme diminuer en ce début d'année. Un renversement sensible dû à l'inflation des prix du maïs. Mais aussi aux répercussions sur le prix des autres denrées agricoles, les producteurs américains modifiant la répartition de leurs cultures au profit de cette céréale rémunératrice. La croissance moyenne du revenu agricole est d'ailleurs estimée à 6,3%, cette année.

2007 : 25% de la récolte de maïs américaine
a été transformée en éthanol.

2008 : l'éthanol représentera 6% du volume d'essence
aux Etats-Unis.

Sont donc contestées au Capitole les multiples subventions aux agriculteurs, dont un "farm bill" quinquennal de 300 milliards de dollars. Ou la subvention annuelle de 5,2 milliards distribuée chaque année aux producteurs agricoles, sans condition de ressources ni de production. Ou le crédit d'impôt destiné aux raffineurs qui incorporent de l'éthanol dans l'essence, à hauteur de 45 cents par gallon (3, 78 litres). Au même moment, l'Europe remet profondément en question son propre système d'aides agricoles. Sourions (jaune).

1/4 de la production américaine d'éthanol est assuré
par la multinationale
ADM (Archer Daniels Midland)


Panier de la ménagère contre agrocarburant

Après avoir dénoncé "les subventions agricoles aux fermiers multimillionnaires", Georges Bush a réaffirmé le vendredi 5 mai son soutien à l'éthanol (et aux forages pétroliers dans la réserve naturelle de l'Alaska). Les Républicains sont certes opposés par principe à ces subventions, ce qu'a assez courageusement rappelé leur candidat McCain. Mais le soutien des élus de la Corn Belt est essentiel en cette année de Présidentielles.

Elections et montée des prix concernent au premier chef les consommateurs américains moyens, certes plus nombreux que les riches "fermiers". L'inflation sur les aliments au détail est en effet estimée entre 4 et 5 % cette année. S'y ajoute celle de l'essence, la crise des subprimes et la chute prévisible des prix de l'immobilier qui vont poser problèmes aux emprunteurs-hypothéqueurs.

Le combat pour le niveau de vie américain passerait donc, indirectement, par une réduction du plan éthanol et des subventions associées. Le Congrès s'achemine plutôt vers une augmentation des subventions aux "foods stamps" (aide alimentaire aux plus démunis) et une réduction très symbolique des subventions agricoles.

Des politiques durablement inquiétantes

Et le développement durable, dans tout cela, celui qui doit "répondre aux besoins du présent tout ern préservant les besoins des générations futures". Dans le cas de l'éthanol-grain, la durabilité des décisions ne saute pas aux yeux. Législateurs, experts et conseillers de tous poils n'auraient donc pas imaginé que détourner une partie de la production de céréales des principaux pays producteurs vers un usage automobile aurait des conséquences sur les prix alimentaires mondiaux ? Que la réponse soit oui ou non, c'est inquiétant.

On n'en a pas certes pas fini avec l'éthanol. Le Brésil augmentera sa production de canne à sucre-éthanol de 15 à 20% cette année. Il produira 4,2 milliards de litres d'agrocarburant, dont 2,5 milliards seront exportés vers les Etats-Unis (et taxés à leur entrée sur le sol américain). Le Canada devrait adopter un projet de loi portant à 5% d'ici 2010 le pourcentage d'éthanol-maïs dans les carburants. 5% de la vaste surface cultivable canadienne devrait y être consacrée, à terme. Le Ghana, en pleine crise alimentaire critique, envisagerait de consacrer 30 000 hectares de canne à sucre à la production d'éthanol exporté vers la Suède. Comprend qui peut.

Comment l'équilibre alimentaire mondial sera-t-il assuré lorsque des dizaines ou des centaines de millions de ménages chinois, indiens et autres rouleront avec leur voiture individuelle et consommeront des céréales et des animaux nourris aux céréales ? La planète et ses habitants peuvent-ils supporter la diffusion continuelle, exponentielle du modèle de consommation occidental ?

Une perplexité durable peut seule répondre à cette question.

Thierry Follain

Cet article peut être reproduit après autorisation de l'auteur.

Sources : New York Times, Wall Street Journal, Business Week, Washington Post, Los Angeles Times.

Photo : DR - Illustration : Stahler ("Il y a des tas de voitures dans le monde qui rêveraient de se nourrir d'éthanol, alors, finis ton maïs").


Cet article a été repris sur Natura Vox


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