vendredi 24 juillet 2009

Une décennie d'explosion des hauts salaires : un développement pas vraiment durable

La part des 2 500 salariés les mieux payés dans l'ensemble des salaires a augmenté de 44% en France, entre 1998 et 2005. La croissance annuelle des revenus déclarés des 0,01% les plus riches a été de 42,6% contre 0,6% pour les 90% les moins aisés. Cette dynamique du profit immédiat, concentré entre quelques mains a abouti à la crise économique et financière la plus grave depuis 1929. En France comme ailleurs, le pilier social du développement durable est à reconstruire.

Audrey Hepburn, Diamants sur canapéDans son étude "Les hauts revenus en France : 1998/2006 : une explosion des inégalités ", Camille Landais souligne le fort accroissement des inégalités de revenus constatées en 8 ans. En résumé, les revenus des foyers les plus riches ont fortement progressé, tandis que les revenus moyen et médian croissaient modestement. Le tout avec un objectif de création rapide de valeur, fondamentalement anti-durable.

Croissance mobilière et immobilière au profit des plus riches

Cet écart croissant s'explique partiellement par la croissance rapide des valeurs mobilières et immobilières sur la période. Ainsi, la valeur du capital mobilier (actions, stock-options...) a augmenté de près de 4% par an, contre 0,6% pour les revenus salariaux (par salarié). La valeur des dividendes a augmenté de 48% par ménage (théorique), contre 6,8% pour les salaires et traitements, ce qui traduit la volonté des entreprises du CAC 40 de privilégier les actionnaires. Evidemment, la part des revenus du capital est plus importante dans le patrimoine d'un ménage aisé que dans celui d'un ménage modeste.

L'explosion mobilière et immobilière n'explique cependant pas tout.

Une décennie d'explosion des hauts salaires

Les 1% des Français les plus riches ont en effet augmenté leur part des salaires totaux de 0,6% de 1998 à 2006. Sur la même période, leur part des revenus du capital mobilier croissait de 12%. Seulement, voilà, la masse des salaires en France était 30 fois supérieure à celle des avoirs mobiliers sur la période, soit 500 milliards. L'impact de cette captation croissante des revenus du travail par les plus riches a donc été conséquente. 1% de nos compatriotes ont augmenté leurs revenus salariaux de 3 milliards d'euros en 8 ans.

Ecole d'économie de Paris, Paris School of Economics,Les hauts revenus en France, par Camille LandaisL'auteur du rapport conclut à une véritable explosion des hauts salaires : "Le plus frappant est l'importance de la croissance des rémunérations de quelques milliers de salariés formant la queue de distribution des salaires que l'on peut assimiler aux top managers et aux banquiers et traders percevant les plus gros bonus et intéressements. Leur part dans les salaires totaux a presque augmenté de moitié (+44% entre 1998 et 2005). On a ainsi mis fin à trente ans de relative stabilité dans l'éventail des salaires".

Le système économique financiarisé qui s'est écroulé en 2008 avait donc pour moteur la croissance des plus hauts revenus.

Crise financière : des enseignements durables ?

Le justificatif de cette dérive salariale était la nécessité de recruter et conserver de précieuses compétences. Lesquelles devaient être prioritairement dédiées aux profits à court terme, générateurs de bonus, et à la création de valeur au profit quasi-exclusif de l'actionnaire et des plus hauts revenus. Avec 2 850 milliards d'euros de dépréciation d'actifs en quelques mois, c'est particulièrement réussi.

En résumé, cette course au bien-être des plus favorisés a prouvé sa nocivité économique, sociale et environnementale. Elle s'est révélée, confirmée, anti-durable au possible. Le retour des bonus à Wall Street (14 milliards d'euros prévus cette année chez Goldman Sachs) fait douter que la moindre leçon ait été tirée de cette crise majeure.




"Les hauts revenus en France (1998-2006) : Une explosion des inégalités ?", par Camille Landais, Paris School of Economics.


Photo : Audrey Hepburn dans "Breakfast at Tiffany's (Diamants sur canapé) de Blake Edwards (1962).

mercredi 15 juillet 2009

Desertec : 400 milliards pour alimenter l'Europe en énergie solaire née du désert

Le projet Desertec vise à construire des centrales solaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient pour couvrir à terme 15% des besoins énergétiques de l'Europe et alimenter les pays producteurs. Coût envisagé : 400 milliards d'euros. 12 entreprises allemandes ont signé la convention qui lance ce projet. Son étiquette "Développement durable" peut être discutée.

Energie solaire Europe, Afrique du Nord : projet Desertec
En septembre 2008, Terre Natale annonçait le vaste projet de production d'énergie solaire Desertec. Celui-ci repose sur un réseau de centrales thermiques solaires à concentration (Concentrating Solar-Thermal Power, CSP) réparti dans les déserts nord-africains et moyen-orientaux.

Le solaire sous haute tension

Pour distribuer cette électricité, les promoteurs du projet, grandes entreprises et gouvernement allemands, veulent construire un réseau de lignes de transmission de courant continu haute tension (CCHT). Ce procédé devrait garantir des pertes inférieures à 3 pour cent par 1000 km de distance. Ces liaisons pourraient être aériennes, enterrées ou posées au fond de la Méditerranée. Projet "durable" ? A chacun(e) d'apprécier.

Une rentabilité conditionnée par les évolutions ultérieures

Comme indiqué par Le Moniteur, le kilowatt-heure produit par ce couple électricité thermosolaire et transport CCHT coûte aujourd'hui entre 10 et 20 centimes d'euros (contre de 3 à 5 centimes d'euros pour le kilowattheure nucléaire)(hors coût du démantèlement des centrales obsolètes). Il pourrait devenir plus compétitif avec les évolutions technologiques et la remontée probable des cours du pétrole.

Une double dépendance énergétique ?

Avec Desertec, l'Europe accroît sa dépendance énergétique envers des pays nord-africains et moyen-orientaux dont la stabilité politique n'est pas garantie à terme.

Le mode opératoire change, mais le modèle reste celui d'une production massive d'énergie basée sur des investissement colossaux (équivalent de 90 réacteurs EPR). Quid de l'autonomisation énergétique et de la réduction des consommations, à niveau de vie égal ?

Et le Plan solaire méditerranéen, dans tout cela?

Prévu pour être pleinement opérationnel en 2050, Desertec pourrait être concurrencé par le Plan solaire méditerranéen porté par l'Union pour la Méditerranée, lancé en novembre 2008. Le conditionnel est de rigueur, cette Union impulsée par la France ayant été prudemment estimée "encore vivante" par Henri Guaino, proche conseiller du Président de la République. Si ce plan devait être ranimé, il semblerait peu "durable" que deux projets de cette ampleur et de ce niveau d'investissements coexistent.

jeudi 9 juillet 2009

EDF : plus 20% sur 3 ans, le prix des EPR ?

EPR à 4,5 milliards d'euros pièce, emprunt de 3,2 milliards, plus de 30 tranches nucléaires à rénover, puis démanteler. Rude problème pour EDF, la politique énergétique française et le consommateur.
Albert Einstein, créateur de la théorie de la relativitéEnoncé :

- Soit un producteur d'électricité historique qui met en chantier 2 réacteurs EPR, pour un coût de 4 à 4,5 milliards d'euros chacun.

- Soit un parc nucléaire de 58 tranches dont la durée d'exploitation pourrait être portée à 40 ans, (ASN, Autorité de sûreté nucléaire), voire 60 ans (EDF), contre 20 à 30 ans initialement. Coût par tranche : 400 millions d'euros.

- Soit un emprunt EDF qui a rapporté 3,2 milliards d'euros.

De combien le producteur devra-t-il augmenter le prix de l'électricité au particulier, afin de trouver les 12 milliards d'euros nécessaires pour prolonger et développer son parc nucléaire ?
European pressurized water reactor, EPR Flamanville, EDFCorrigé :

Pierrre Gadonneix, PDG d'
EDF, souhaite une
augmentation du prix de l'électricité de 20% sur 3 ans, soit un surcoût mensuel de 12 euros par ménage, selon l'UFC-Que choisir.

Energie 80% nucléaire : une exception française qui coûtera de plus en plus cher. Sans parler de la gestion des déchets radioactifs : 1,15 millions de m3, répartis sur 1 121 sites, fin 2007). Volume prévu par l'Andra* en 2030 : 2, 25 millions de tonnes. Ni du coût du démantèlement des REP (réacteurs à eau pressurisée) qu'EDF souhaite donc reporter. Voir le cas-pilote de la modeste centrale bretonne de Brennilis** (procédé graphite-gaz, 70 Mégawatts, contre 1 300 MW pour les tranches les plus récentes). Coût réel : 482 millions d'euros, déterminé par la Cour des Comptes. La Cour s'interroge d'ailleur sur la capacité financière d'EDF à démanteler ses centrales, dans son rapport "Le démantèlement des installations nucléaires et la gestion des déchets radioactifs", publié en janvier 2005.

On peur difficilement s'en remettre à ce seul modèle productiviste qui arrive à la période la plus coûteuse de son cycle d'exploitation. Il serait temps de privilégier la sobriété énergétique dans l'habitat neuf et ancien,
la remise en état du réseau de distribution moyenne tension français et la création de réseaux intelligents...

Thierry Follain

* Agence nationale de traitement des déchets radioactifs.

** Le démantèlement de Brennilis a commencé en 1997. Les travaux finaux de déconstruction sont programmés pour 2020.