dimanche 28 décembre 2008

La voiture électrique roulera-t-elle pour l'industrie nucléaire ?

"La voiture électrique exigerait une nouvelle centrale nucléaire". Tel est le gros titre des Echos du 26 et 27 décembre. Une approche strictement quantitative qui devrait être complétée par une réflexion sur les modes de distribution et de consommation de l'énergie électrique.

D'après une étude du Cabinet Sia Conseil, reprise par Les Echos, le développement du parc de véhicules électriques français pourrait entraîner "un besoin annuel en énergie de l'ordre d'un réacteur EPR", et "nécessiter la construction d'un EPR", d'ici 2020. Ce scénario, basé sur le développement des flottes d'entreprise, anticipe un parc roulant électrique de 1,1 à 1,4 millions d'unités en 2020. Une projection de Renault table sur 1 million à la même époque. Soit 100 000 véhicules à produire ou importer chaque année. La flotte électrique française comporte actuellement 10 000 modestes unités, principalement chez La Poste et EDF.
Voiture électrique en France - Produire l'énergie pour la voiture électrique - Voiture électrique et énergie nucléaire- Terre Natale, par Thierry Follain - terrenatale.blogspot.com
Une étude qui arrive à point nommé pour l'industrie nucléaire française
Cette étude tombe bien pour EDF, lancé dans la construction de 2 centrales de type EPR. Le gouvernement français prépare en effet la Programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité (PPI), présentée au Parlement début 2009. Dans une contribution au même quotidien le 24 décembre, Benjamin Dessus, souligne l'opacité du chiffrage des coûts comparatifs des filières énergétiques effectué par RTE, gestionnaire du réseau. En résumé, l'étalon est l'énergie nucléaire, dont le détail des coûts de production est inaccessible pour cause de "secret commercial". D'après le Président de Global Change, la capacité de production nuclaire étant maintenue constante, la France disposerait en 2020 d'un excédent de 140 TWh (Terrawatt/heure) d'électricité, dont il faudrait exporter une partie. Ou qui permettrait la recharge des batteries lithium-ion des véhicules électriques.

Réseaux intelligents : vers une nouvelle donne énergétique

Cette approche productiviste prend-t-elle en compte l'irruption prévisible des technologies des "réseaux intelligents" ? Celles-ci vont fortement modifier notre mode de distribution et de consommation d'électricité, comme le souligne Michel Derdevet, Maître de conférence à l'IEP de Paris, dans Les Echos du 26/27. Transportant conjointement électricité et données, ces réseaux permettront en effet de connecter efficacement les multiples sources de production d'électricité, dont les énergies renouvelables. Ils amèneront une gestion optimisée des utilisations de l'énergie. La Commission européenne a d'ores et déjà lancé la
Plateforme technologique Smartgrids, "pour les réseaux électriques du futur".

Optimiser la synchronisation entre production et consommation
La programmation des recharges, leur insertion intelligente dans les cycles de production et de consommation joueront donc un rôle majeur dans le développement des véhicules électriques. Et sur la planification éventuelle d'un EPR "dédié".

Globalement, le XXIème siècle se jouera sur l'intelligence économique et technologique et le pilotage fin du rapport entre ressources et utilisations. Une évolution pas évidente pour notre économie nationale qui reste un peu trop focalisée sur la production massive d'électricité d'origine nucléaire.
Visuel : Moovie, concept-car électrique par Peugeot

Article repris par Natura Vox

lundi 22 décembre 2008

Rouge cochenille : du désir à la mondialisation

"L'extraordinaire saga du rouge" d'Amy Butler Greenfield nous entraîne dans l'histoire de cette couleur prestigieuse, sulfureuse, de la Toscane moyennâgeuse à l'époque actuelle, en passant par l'Empire colonial espagnol. Dans l'épopée de la cochenille, cet insecte mexicain au pouvoir colorant sans égal. Un récit emblématique, par ses enjeux esthétiques, politiques et économiques, de l'histoire de l'Homme, avec son talent, son ingéniosité, ses désirs, son irrépressible tendance à réaliser des profits en exploitant l'autre, sans oublier la mondialisation des échanges. C'est en plus un bonheur d'écriture.
Tirée du murex, un coquillage, la couleur pourpre se veut divine, impériale dans l'Antiquité méditerranéenne. Au Moyen-Age, le rouge vif est réservé aux gens d'Eglise de haut rang, aux nobles, aux classes aisées. C'est un signe d'ascension sociale. Les sources écarlates d'alors, garance, kermès du chêne et rouge d'Arménie sont imparfaites, difficiles à traiter, périssables. A la Renaissance s'imposent les "écarlates vénitiens", couleurs recherchées par les riches européens, sources de profit soumises au plus strict secret. C'est cependant d'un continent nouveau que naîtra l'intense vague rouge.

La cochenille, matière première adulée, convoitée

En 1519, Herman Cortes débarque sur le rivage amérindien. Une "découverte" qui va révolutionner l'humanité. Et le monde des tailleurs, teinturiers européens, et de leurs opulents clients. Parmi les inimaginables richesses de l'Empire aztèque figurent en effet des étoffes à la palette de couleurs sans égale. Dont un rouge écarlate issu de l'élevage délicat d'un insecte, la cochenille, parasite d'un catus, le nopal, mieux connu comme "figuier de barbarie". Pas n'importe quelle cochenille, mais le "Dactylopius coccus" né de la domestication, de la sélection effectuée par les éleveurs mixtèques, et donc unique au monde. En 1523, le premier chargement de cochenilles arrive à bon port, à Séville, sous forme de matière première déssechée, appelée "grana", graine, appellation ambigüe . S'ouvrent ainsi trois siècles de monopole espagnol sur le rouge cochenille. Traitée par les teinturiers européens, la cochenille-base se vend à prix d'or. Dix fois plus puissante que les autres sources écarlates, la "grana" permet en effet d'atteindre un idéal esthétique et commerciale : le "rouge parfait", apprécié en particulier par les peintres. C'est un des produits les plus rentables des colonies impériales. On en exporte 87 tonnes par an, dont un pourcentage variable parvient à la Couronne espagnole. L'avidité des puissances rivales est grande, et corsaires, pirates, prélèvent en effet un lourd tribut sur les chargements des galions (en plus de l'or, du cacao, du tabac, et ainsi de suite). Anglais, Hollandais et Français tentent sans succès de percer le mystère de la cochenille. Est-ce un végétal, d'ailleurs, ou un insecte ? Le secret espagnol est bien gardé. Au XVIIIème, l'aventurier français Thiéry de Ménonville parvient à ramener une modeste cargaison de cochenilles et de nopals à Port-au-Prince, au terme d'une mission mexicaine digne du meilleur John Le Carré. Echec de l'élevage, hélas. Même sort pour les précieuses cochenilles ramenées à grands frais par la Royal Society londonienne : elles sont minutieusement éliminées des plants de cactus par un chef jardinier ennemi des parasites ! La Compagnie des Indes lance alors son élevage de cochenilles sauvages mexicaines près de Madras, mais leur rendement est médiocre.

Une histoire de culture

Dans leur colonisation des empires aztèques et mayas, les Espagnols ont recouru à l'asservissement massif des populations, au travail forcé dans des productions minières ou agricoles d'exportation, au détriment des culture vivrières et au prix de millions de vies "indigènes". Les éleveurs de cochenille des régions d'Oaxaca et Tlaxcala ont cependant échappé à ce sort funeste . Peu éduqués, les colons espagnols recherchaient un profit massif, immédiat et facile. Elever ces insectes fragiles, liés à des biotopes précis, sensibles à la chaleur, à l'humidité, à la pluie ne les séduisait pas. Ils ne pouvaient pas plus recourir au travail forcé, faible source de compétence et de motivation. Ils durent donc laisser la production de cochenilles à de petits producteurs indigènes qui vendaient librement la "grana" aux marchand locaux en relation avec les négociants espagnols. Les producteurs mixtèques ont dû leur vie, leur survie, voire leur richesse à la demande mondiale en rouge écarlate. Une ressource qui s'est peu à peu étendue à certaines régions du Pérou.


Fin du monopole, début de la misère


Ce secret si lucratif fut brisé à la fin de l'Empire espagnol, en 1821. Les cochenilles riches en colorant se répandirent alors au Guatemala, en Espagne, en Sardaigne, en Corse, puis, plus tard, aux Canaries. Mauvaise nouvelle pour les producteurs mexicains. Le pire restait à venir : les pragmatiques et impitoyables Hollandais développèrent la production massive de cochenille-base dans leur colonie de Java. Colonie pénitentiaire serait le mot exact, la population "indigène" subissant le sort des Amérindiens sous Cortès et consorts : esclavage, travail forcé, famines, épidémies, décès massifs. Sauf que cela se passait trois siècles plus tard. Ce génocide mercantile fut dénoncé en 1860 par Eduard Douwes Dekker, dans son roman "Max Havelaar" (voilà!). Malgré l'émotion causée aux Pays-Bas, il fallut attendre vingt-deux ans pour que ce système inique, le kuulturstelsel, soit aboli. Parallèlement, le cours de la cochenille s'effondrait, la production mondiale atteignant les 900 000 livres à son apogée, en 1839. Ruinés, les producteurs mexicains devinrent ouvriers agricoles, mineurs, pour des salaires de misère.

L'âge du synthétique et de la mauvaise réputation

C'est la chimie moderne, et non l'action humanitaire, qui mit fin à la production de cochenilles javanaises. D'un dérivé du goudron, l'Anglais Perkin tira la toluidine, ou "mauve de Perkin". Cette teinte fut adoptée et mise à la mode par l'Impératrice Eugénie et la Reine Victoria Au rouge "cochenille" furent substitués les synthétiques fuchsine, solférino ou magenta. Les Allemands constituèrent leur propre monopole sur les colorants, matières premières et brevets, inclus. Quant au rouge, il demeura réservé aux fonctions officielles et aux militaires, aux femmes de l'aristocratie, aux grandes bourgeoises et autres mondaines. Hors ces cercles restreints, il désignait la femme de mauvaise vie, adultère, promise par l'imaginaire social aux tourments et souvent à une mauvaise fin. Amy Butler Greenfield cite ainsi la scène d'"Autant en emporte le vent" ou Red (sic) Buttler impose à Scarlett (sic) O'Hara le port d'une robe écarlate qui la désigne immanquablement comme femme fatale, briseuse de ménage.

Le retour de la cochenille, bel et bien bio


Au milieu du XXème siècle, une équipe de chercheurs mexicains sauve une des dernières colonies de dactylopius coccus conservée par un fermier zapothèque. Parallèlement un programme est mené pour perpétuer la tradition artisanale. Le retour en grâce de la cochenille est cependant dû la vague écologiste des années 70. La Food and drug Administration interdit l'usage alimentaire, cosmétique ou pharmaceutique de l'amarante (E 123), soupçonné d'effets cancérigènes. Succès assuré pour l'extrait de cochenille, carmin ou acide carminique (E 120), produit industriellement au Mexique, au Pérou, en Bolivie, au Chili, aux Canaries et en Afrique du Sud. Seuls s'en détournent les Musulmans et Juifs pieux (pas halal, pas casher), les végétariens ou végétaliens. Pour la cochenille, le rouge sera toujours mis...

Tout cela, et bien plus, est narré sous forme d'un véritable roman esthétique et d'aventure par l'historienne Amy Butler Greenfield. Cerise (carmin) sur le gâteau : l'élégance de la traduction d'Arlette Sancery et de la maquette des Editions Autrement. A offrir, à savourer en cette période festive.



"L'extraordinaire saga du rouge" - Amy Butler Greenfield - Ed. Autrement

Illustrations : Rouge et femme fatale dans l'imaginaire américain :
Vivien Leigh/Scarlett O'Hara, dans "Autant en emporte le vent", de Victor Fleming, 1939.
Pin-up des années 50.
Nicole Kidman/Satine, dans "Moulin Rouge", de Baz Luhrmann, 2001





lundi 15 décembre 2008

Axes de Comm' : L'environnement, il passe par nous

Environs, alentours ou osmose : notre perception de "l'environnement" conditionne notre rapport au monde et notre volonté d'évoluer. Bref tour d'horizon et esquisse de pistes communiquantes.

Anglo-saxons : un "environnement" d'avance

"Ensemble des éléments et des phénomènes physiques qui environnent un être vivant, se trouvent autour de lui" : cette définition réductrice
(Lexilogos) est celle qu'ont encore en tête nombre de décideurs ou de citoyens. L'environnement apparaît alors comme un "autour", des "alentours". Il doit de préférence être propre et joli (du moins dans les zones à population aisée) mais pas au détriment de la productivité, du développement économique. Dans l'approche médiatique, cet environnement-environs est défendu par la mystérieuse et minoritaire nébuleuse des "écologistes". Il est à priori suspect d'être associé à la récession, à la décroissance.

Cette définition de l'environnement et la perception induite n'ont que 40 ans de retard. Depuis les années soixante, les Anglo-Saxons sont en effet passés au concept suivant : "Complexe de facteurs physique, chimiques et biotiques (tels le climat, le sol et les êtres vivants) qui agissent sur un organisme ou une communauté écologique et déterminent en fin de compte sa forme et sa survie " (Merriam-Webster). Une approche reprise mais minimisée par notre Petit Robert en 1990 : "Ensemble des conditions naturelles (physiques, chimiques, biologiques) et culturelles (sociologiques) susceptibles d'agir sur les organismes vivants et les activités humaines". Et qui aboutit, en 2009, sur le Robert en ligne, à : "Ensemble... dans lequel les organismes vivants (en particulier l'homme) se développent". La pensée française peine quelque peu à intégrer la réalité de cet environnement agissant sur nous, au fond de nous.

La Nature, l'environnement, c'est nous

Dans les faits, notre corps n'est pas simplement un organisme, une pensée qui doit se protéger de l'extérieur. C'est, par sa peau (le plus étendu de ses organes), par son système respiratoire, par ses processus perceptifs, cognitifs, un milieu en échange permanent avec son milieu de vie (nature exacte de "l'environnement"). Homme ou femme, nous sommes éminemment perméables aux flux véhiculés par l'air, par l'eau, le sol. Ainsi, en 2004, 39 parlementaires européens se sont prêtés à une analyse sanguine, sur proposition du WWF. Ils ont constaté avec stupeur qu'on trouvait des traces de 76 substances chimiques toxiques persistantes ou biocumulatives dans leur sang. En matière chimique ou radioactive, la notion de dose-seuil, de dose biologiquement inoffensive applicable à tout être humain demeure une construction de l'esprit, associant données scientifiques parcellaires et souci de ne pas porter préjudice à l'activité économique*.

Une nouvelle perception de la réalité

Cette osmose entre "l'environnement" et nous et, malheureusement, entre effluents nocifs et nous est mal perçue parce que relativement peu étudiée (comme le sait toute personne ayant entrepris des recherches sur la pléthorique famille des polluants de tous poils).

L'environnement-osmose est pourtant notre réalité. Une partie d'elle. Une part fondamentale de nous.

Alléger le "durable"

A partir de là, on peut esquisser quelques pistes conceptuelles et communiquantes :

" En évoluant vers le "soutenable", je ne protège pas seulement "la planète" (gentille, mais bien vaste), ni "les générations futures" (gentilles, mais bien lointaines). Je protège une part de ma substance, de celle de mes proches. "

" Le "durable" n'est pas un fardeau imposé à l'humain actuel, ni à son organisation économique et sociale. Mais plutôt l'allègement d'une charge qui pèse sur lui, son avenir et son bonheur."

"Le soutenable, c'est profond et léger tout à la fois."

Des esquisses qui restent à développer…

Thierry Follain

* à noter que la spéculation financière virtuelle a détruit beaucoup plus de "valeur" que ne le fera jamais l'application de la directive REACH en Europe.


samedi 13 décembre 2008

Terrasses chauffées : oui au réchauffement durable !

L'hiver revenu, terrasses de cafés et restaurants sont à nouveau chauffées au gaz ou à l'électricité. Un gaspillage énergétique qui souligne notre lenteur à faire évoluer notre comportement et notre mode de vie. Sans grand profit pour la convivialité.


L'hiver arrive, l'hiver est là. A nouveau pullulent les terrasses de café ou restaurant chauffées au gaz ou à l'infrarouge. Sans être un écolo aux yeux de braise (sic), je ne peux m'empêcher de songer au gaspillage énergétique généré par le chauffage de lieux en plein air (de rues, quoi), ou d'enclos en plastique transparent au degré d'isolation proche de celui d'une râpe à fromage. D'une passoire, plutôt. Pas de doute, la communauté humaine apprend vite !

J'entends bien qu'est en jeu la rentabilité économique d'une activité qui emploie beaucoup de monde. Je saisis moins le plaisir du consommateur à être soit rôti, s'il est prêt de la source, soit en partie gelé. Dans les circonstances actuelles, cette volonté de prétendre que l'hiver est le printemps ou l'été et d'y adopter les mêmes comportements apparaît singulièrement datée, dépassée. "Le cocooning contribue-t-il ou nuit-il à la survie de l'espèce?". Beau sujet de dissertation.

J'oubliais un argument suprême en faveur des terrasses grillées : ce sont en fait des "terrasses fumeurs". L'enjeu se révèle donc égalitaire et communautariste. On doit s'incliner. Mais alors, il faudrait également chauffer les sorties d'immeubles de bureau, le parvis de La Défense, La Part-Dieu, et ainsi de suite.

Boycottons donc les terrasses chauffées. En hiver plus qu'en tout autre période, donnons notre préférence à la chaleur humaine !


Article repris par Natura Vox